Yannick Nézet-Séguin : le monde est sa partition - Catherine François, TV5 Monde

Suivre son parcours sur une carte donne le tournis ! Il n’a pas encore 40 ans et dirige déjà trois orchestres : à Montréal, Philadelphie et Rotterdam. Il se produit aussi dans les salles de concert les plus mythiques de New York, Berlin, Londres, Amsterdam… Yannick Nézet-Séguin est un phénomène dans le circuit des chefs d’orchestre, et il est le parfait exemple qu’il ne faut pas rêver sa vie, mais bien vivre ses rêves…

Mon métier de journaliste m’amène parfois à rencontrer des gens exceptionnels : Yannick Nézet-Séguin est l’un d’eux : charmant, simple, passionné et passionnant… Tout comme Obélix dans la potion magique, le Montréalais d’origine est tombé dans la musique alors qu’il était tout petit. Il n’avait que 2 ou 3 ans qu’il voulait déjà mettre les disques vinyles sur le tourne-disque. Il a commencé à jouer du piano, puis à chanter dans un chœur, et c’est là qu’est née la vocation. «C’est vraiment quand j’ai commencé à chanter, que je me suis mis à faire de la musique en groupe, dans un chœur, que j’ai compris que pour moi la passion de la musique était indissociable du groupe, et ça c’était quand j’avais 8, 9 ans,» me raconte-t-il. A 11 ans, il dirige le groupe de flûtes de son école primaire… Et en 2000, on lui confie la direction de l’Orchestre métropolitain de Montréal…

Mes chats vivent à Montréal

La carrière de Yannick Nézet-Séguin est, depuis, un crescendo ininterrompu… Devenu une sorte de «globe-trotteur de la musique», il ne lâche sa baguette que pour prendre sa valise. Un rêve qui se réalise m’explique-t-il :«Les musiciens sont occupés, en général, mais c’est vrai que moi, j'ai l'impression que le monde est mon terrain de jeu. Ca implique énormément de voyages, et c’est vrai que ça a toujours été un rêve, plus qu’un but, un rêve d’enfance, de diriger les meilleurs musiciens du monde dans les plus grandes capitales». Yannick le Nord-Américain me confie aimer tout particulièrement se produire en Europe, le continent où sont nés les compositeurs dont il dirige les œuvres. Il partage donc sa vie, depuis plusieurs années, entre les orchestres de Montréal, Philadelphie et Rotterdam, sans oublier les autres capitales où il se produit. «Mais mon port d’attache reste Montréal, c’est là que vivent mes chats, que je passe mes vacances, que j’ai ma famille et mes amis, c’est là que sont mes racines».

Yannik le caméléon

Une vie de nomade donc, qui lui demande une capacité d’adaptation assez exceptionnelle. Chacun des orchestres qu’il dirige à ses caractéristiques et son caractère : par exemple, l’un doit répéter pendant vingt heures pour préparer un concert, l’autre n’a besoin que de 5 heures. «Diriger, explique Yannick, c’est aussi un échange. Moi, j’ai une vision des œuvres que je vais diriger mais cette vision-là doit aussi prendre en compte l’orchestre qui est devant moi, avec ses traditions, ses intentions, les personnalités de ses musiciens…Il y a autant d’écoute que de guidage dans tout ça… S’adapter, c’est parfois ce qu’il y a de plus difficile, mais c’est aussi ce qui est le plus gratifiant, quand on réussit à se coller à la peau de l’orchestre pour qu’il donne le meilleur de lui-même.» L’image d’un caméléon me vient à l’esprit quand il me raconte tout ça… «Le caméléon c’est une bonne définition ; c’est la clé et c’est ce qui me passionne dans le fait d’être un chef international, de me promener d’un ensemble à l’autre.»

Quand je lui demande de me qualifier les trois orchestres qu’il dirige, il sourit et prend le temps de répondre : «Rotterdam est un orchestre fort, fier, un peu rude, avec un aspect sauvage qui demande à être apprivoisé… Montréal, le Métropolitain, c’est justement mon orchestre le plus tendre, le plus délicat, celui qui se laisse entraîner par les émotions et à qui, parfois, je dois insuffler un peu de tonus et de fierté. Car c’est un orchestre très humble, dans tout ce que ça a de noble, soit un orchestre qui veut servir la musique… Philadelphie, c’est un orchestre très noble, très passionné aussi, mais qui ne va jamais dépasser les limites de la grande beauté avec un grand B. C’est un orchestre extrêmement raffiné et cultivé. Il y a un point commun entre les trois : tous ont une certaine générosité et ça, ça me va très bien car je crois en cette valeur».

Susciter le désir… des musiciens et du public

Yannick n’est pas ce ces chefs d’orchestre tyrans, qui mènent leurs musiciens, littéralement, à baguette, même s’il sait à quel point il est important de se faire respecter : «Même si on est collégial, respectueux et ouvert, quand on monte sur le podium, il y a juste juste une personne qui décide. Tout est dans le comment, comment on amène les gens à suivre, à la baguette ou par le désir ? Pour moi, savoir créer le désir, c’est mon but.»

Et ce désir, Yannick le suscite grâce à son intégrité et sa passion… «Je pense que pour être un bon chef, la plus grande qualité, c’est l’honnêteté. C’est-à-dire savoir être honnête avec soi-même, et donc être honnête avec les musiciens, montrer autant ses forces que ses faiblesses. Vous savez, être chef d’orchestre, c’est beaucoup se mettre à nu devant les musiciens, parce qu’on n’a même pas d’instrument pour se cacher. Souvent, je me rends compte que les musiciens réagissent à l’amour de la musique qu’ils sentent de la part du chef. Si le chef est là juste comme un professeur ou quelqu’un qui fait le trafic, c’est évidemment moins passionnant pour eux. Probablement que dans ma génération, on a moins peur de se mettre à nu avec nos émotions devant les musiciens et donc devant le public».

Yannick Nézet-Séguin est un passionné… «Pour moi, la musique c’est d’abord une question d’émotions. Et un bon concert, c’est un concert où il s’est passé quelque chose et ce quelque chose-là est au niveau de l’émotion».

Prochains défis ?

Yannick va avoir 40 ans en 2015… Quels prochains défis peut-il relever dans cette quarantaine qui s’ouvre à lui, alors qu’il brille déjà tant dans le firmament musical ? «Pour moi, le défi, maintenant, ce n’est plus du tout de gravir les marches de la carrière, c’est plutôt un défi beaucoup plus profond, celui de devenir un meilleur musicien, un meilleur serviteur de ces grands compositeurs». Tiens au fait, parlant de compositeur, il me confie que Brahms est son préféré «parce que c’est le plus humain, Brahms est très fort, très conquérant, très puissant, mais il est aussi parfois très faible, très vulnérable et il n’a pas peur de le dire…» Un peu comme Yannick Nézet-Séguin finalement…

« Une ivresse sonore »

Wiener Zeitung